Apprendre à se poser des questions, se questionner pour apprendre ?
Les Rencontres Maternelle du GFEN ont réuni des participantes* de toute la France (Brest, Besançon, Lyon, Paris et sa région, etc.) et de Belgique, assemblée composée aux 2/3 d’enseignantes et à un tiers de formatrices et cadres associatives. Toutes présentes à Paris samedi 28 janvier, après plusieurs années de galère, d’évènements annulés ou organisés à distance, pour réfléchir ensemble, échanger.
On ne peut plus rester seule dans son coin quand le métier est malmené, la condition enseignante méprisée, l’école maternelle réduite à être une petite école élémentaire, comme en son temps le collège était un petit lycée. Après les bonnes pratiques diffusées sous forme de guides pour enseigner à l’école maternelle, publiés en 2020, après le détricotage du programme de 2015, devenu programme consolidé en 2021, voici venue la note de service parue au BO du 12 janvier dernier, intitulée Plan Maternelle.
Le Plan Maternelle, quelles conceptions pour cette école si singulière ?
Il préconise de « partager des pratiques pédagogiques éprouvées, dont l’efficacité dans la réduction des inégalités est corroborée par la recherche et qui fait l’objet de différents guides dont les professeurs sont invités à s’emparer ».
On ne peut qu’être d’accord avec la visée du ministère de réduire les inégalités mais les solutions proposées ne sont pas à la hauteur des ambitions. La question du langage en maternelle est réduite à l’acquisition de vocabulaire, avec des méthodes mécaniques et simplistes, qui ne permettent pas d’entrer dans la complexité des savoirs. Le pilotage est fait depuis le rectorat par des conseils académiques des savoirs fondamentaux, qui vont se baser sur les résultats aux évaluations nationales, les comparaisons préconisées entre écoles, une « culture commune de l’évaluation ». Le texte insiste sur la connaissance des évaluations de CP, sur l’évaluation des acquis des élèves dès la petite section. L’évaluation est une obsession.
Il faut aussi prioriser le « renforcement des connaissances didactiques en mathématiques et en français » et la progressivité des apprentissages ; recentrage sur les fameux fondamentaux. Pour arriver à ses fins, le ministère va former les recteurs, qui vont former les inspecteurs, qui vont former les conseillers pédagogiques qui vont former les enseignants et dans 6 ans, la dernière maitresse de maternelle sera formée ! Mais qui va former les formateurs au ministère ? LA recherche, celle qui corrobore ses attentes ? Ceux qui ont écrit les guides ?
Ce plan préconise de travailler en partenariat en amont et en aval de l’école maternelle avec les structures de la Petite Enfance et le CP et avec les familles, sans donner de temps pour ces concertations qui existent déjà et reposent partout sur l’engagement des personnels.
Un collectif pour reprendre la main sur le métier
Pour faire entendre une voix différente, le collectif Forum Maternelle, coordonné en 2018 par le GFEN, a été récemment réactivé par le SNUipp. Il est composé d’associations d’enseignantes d’écoles maternelles, de parents d’élèves, d’enseignantes de français, de conseillers pédagogiques AGEEM, FCPE, AFEF, ANCP&AF ; de mouvements pédagogiques ou d’éducation populaire ICEM-Pédagogie Freinet, CRAP-Cahiers pédagogiques, CEMEA, Ligue de l’Enseignement ; des syndicats enseignants, fédérations CFDT, CGT, FSU, SUD, UNSA.
Ce groupe a écrit une tribune collective publiée au Monde le 9 janvier 2023, pour revendiquer une école « démocratisante », mot emprunté à Sylvie Cèbe et Roland Goigoux, autrement ambitieuse, à rebours des objectifs de performance préconisées par le ministère et qui gagnent toujours plus de terrain.
L’école maternelle que nous voulons, c’est :
- une école soucieuse du développement des jeunes enfants dans toutes ses dimensions, exigeante envers elle-même pour les élever ; un lieu où l’enfant qui devient élève a accès à de nombreux apprentissages, tous fondamentaux, évalués de manière positive. Accès à la culture, véritable bien commun, pour comprendre et agir dans le monde.
- un collectif de travail où les équipes enseignantes n’ont pas à « se conformer à des protocoles précis » mais sont capables de concevoir leurs outils, de travailler en intermétiers avec les autres professionnels et dans des relations constructives avec les familles.
Le collectif Forum Maternelle a prévu de se réunir début février pour les suites à donner à cette tribune et de demander une entrevue au ministère.
Le GFEN pour retrouver confiance en son pouvoir d’agir et de penser
Les rencontres ont pour thématique : comment on peut chercher et se questionner pour apprendre, enseigner, former, piloter… « Expliquer empêche de comprendre quand cela dispense de chercher » (Henri Bassis, ancien président du GFEN). Mais peut-on chercher sans se questionner ? En effet « sans questions, il n’y a pas de réponses » (Britt Mari-Barth).
Y a t-il des postures à installer très tôt à l’école maternelle ? En quoi permettent-elles de former des esprits curieux ? Pourquoi sont-elles importantes pour les futurs apprentissages, quels que soient les domaines abordés ? Comment rendre insolite le quotidien pour faire émerger les questionnements des jeunes enfants ?
L’enseignant peut-il produire de l’interrogation chez les élèves sans s’interroger sur sa propre façon de faire ? Le formateur peut-il partir des préoccupations des enseignants sans se préoccuper d’accepter des points de vue différents et de faire bouger les conceptions ?
Au fil de la journée, les rencontres déroulent des activités, des façons de faire, des démarches, des dispositifs pour aider les enseignantes à faire réussir tous les élèves. A elles ensuite de s’en emparer, d’essayer des petits riens qui changent tout, de changer de regard sur les élèves, changer de conception sur le rapport à l’école et au savoir, d’oser les outils du GFEN…
Olivier Maulini, enseignant chercheur à l’université de Genève, se risque à nous questionner, là où nous sommes dans notre milieu de travail. Et nous nous risquons à nous frotter à la recherche, dans une configuration (terme de sociologie), qui signifie un système complexe et non pas binaire, où chaque acteur a sa place, en interaction avec les autres, enseignants, formateurs, chercheurs, cadres…
Les ateliers permettent de vivre personnellement des situations d’apprentissages qu’on peut utiliser professionnellement. Avec Sophie Reboul, du GFEN 25, nous voyons comment faire entrer les élèves de grande section dans la résolution de problèmes mathématiques. Avec Corinne Ojalvo et Viviane Guesquière, du GFEN Maternelle, les élèves sont capables de gérer toutes les opérations mentales pour écrire un texte, grâce au collectif et à l’étayage de la maitresse. Jacqueline Bonnard, du GFEN 37, s’appuie sur la manipulation pour faire chercher les élèves et les amener à la conceptualisation.
Laure Coindeau, du GFEN Maternelle, aborder la notion de quantité, sans jamais parler de nombre et en faisant en sorte que les élèves de petite section verbalisent, se questionnent et s’aident. Damien Sage, du GFEN Paris, fait entrer ses élèves dans la littérature jeunesse sans leur poser les questions classiques de compréhension du texte. Laetitia Bisson et Florie Cristofoli-Coulon, du GFEN 72, utilisent les questions philosophiques pour développer une posture de réflexion chez leurs élèves d’école élémentaire et on peut tout à fait s’en emparer en grande section de maternelle.
En clôture, Jacques Bernardin, président du GFEN, questionne les visées de l’école maternelle : conformer les esprits ou éveiller les consciences. Il faut choisir. C’est tout vu mais il nous donne des arguments pour en découdre.
Au travers des rencontres, des stages, des formations, sur des sujets thématiques (secteurs Maternelle, Langues, Philosophie, Ecriture, Arts plastiques…) ou dans des groupes géographiques, en éducation prioritaire mais pas seulement, avec des enseignants, étudiants ou éducateurs, les activités du GFEN redonnent confiance dans son propre pouvoir d’agir et de penser et dans la force du collectif. On en a bien besoin par les temps qui courent.
Isabelle Lardon
*Le féminin est utilisé plutôt que le masculin pour désigner le pluriel.